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Renaissance

Temps de lecture : 2 minutes

J’ai passé 403 200 minutes enfermé. D’abord dans le noir complet, dans l’incapacité de voir quoi que ce soit. Ni lumière, ni formes, ni couleurs. Puis, un jour, une faible lueur. On me laissait désormais distinguer le jour de la nuit. Quelques ombres volant çà et là dans cet espace orangé de jour et disparaissant dans l’ombre de la nuit.


   J’ai passé 6720 heures enfermé. J’entendais ce martèlement régulier, incessant, qui s’emballait parfois. Et, un jour, une voix lointaine atteignit mes oreilles. Un doux murmure venait m’apaiser et couvrir un peu le brouhaha du perpétuel battement. Je ne distinguais pas les paroles, seulement la mélodie qui me berçait de temps à autre, entrecoupée par d’autres sons que je ne connaissais pas venant de l’extérieur. Certains devinrent familiers, d’autres ne se firent entendre que peu de fois.


   J’ai passé 280 jours enfermé, avec pour seul repère des effluves de roses, de vanille et de miel allant et venant, agrémentés parfois d’un parfum mentholé de santal et de cèdre. Ce dernier intervenait plus souvent quand la faible lueur s’éteignait. Je ne comprenais pas pourquoi, mais j’avais tout le temps de le remarquer.


   J’ai passé 40 semaines enfermé. Avec pour seule distraction pour mon palais, de l’eau, tiède, à volonté. Son goût changeait chaque jour. Tantôt sucré, tantôt salé. Un goût parfois doux et agréable, parfois amer et déplaisant. Encore une fois, je n’avais aucun contrôle là-dessus, et aucun moyen d’en aviser mon ravisseur, ni même de lui demander pourquoi il m’imposait tout cela.


   J’ai passé 9 mois enfermé. Dans un espace étendu dans un premier temps, mais qui semblait se restreindre, m’écrasant un peu plus chaque jour. À tel point que je finis enlacé par les murs, me débattant pour gagner un peu de place, pour pouvoir étirer mes muscles endoloris.

   Puis, un jour, sans que je ne comprenne ni comment ni pourquoi, la lumière s’est intensifiée, le martèlement s’est arrêté, les effluves de roses et de santal se sont renforcés, l’eau tiède s’en est allée et les murs m’ont écrasé. Pendant de longues minutes, j’ai senti leur étreinte me broyer et, l’instant d’après, me repousser. Mon cœur s’arrêtait quelques secondes à chaque pression avant de repartir de plus belle. Tout ce que je connaissais se transformait, disparaissait ou s’amplifiait.


   C’est alors que je me suis posé cette question : quand tout ce que vous connaissez se dérobe, que chaque sensation vous échappe, que tout ce que vous avez vu, entendu, senti, goûté et touché jusqu’alors disparaît peu à peu pour laisser place à d’autres visions, d’autres sons, d’autres odeurs, d’autres goûts, d’autres perceptions, est-ce cela que l’on ressent lorsque l’on meurt ?

   Après ce tumulte qui m’a semblé durer des heures, enfin, j’avais la réponse : la naissance est une forme de mort et celle-ci, une forme de renaissance.

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